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le Spahi
labarre
G. Delacroix
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Lectures
Bonjour,
Pendant ces vacances, j'ai lu, entre autres, deux ouvrages qu'on pourrait nommer plus ou moins aujourd'hui "biographies" bien qu'ils s'intitulent plus justement "journal" ou "mémoires".
Le premier est le "Journal du corsaire Jean Doublet, lieutenant de frégate de Louis XIV...", d'après son manuscrit. J'ai bien aimé ce livre qui détaille la vie et surtout l'époque et les conditions de vie d'un marin sous Louis XIV. L'ambiance de la marine l'époque est bien rendue et on se laisse prendre par les aventures multiples et variées de ce corsaire au service du Roi-Soleil avec la vision d'un homme de terrain (si je puis dire) évoluant dans un contexte peu souvent décrit par les historiens de la marine au commerce, la petite histoire vécue tous les jours par un corsaire au travers de la grande Histoire.
A télécharger sur votre ordi ou tablette, ici :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k204786p?rk=42918;4
Le second "Mémoires de Monsieur Duguay Trouin, Lieutenant général des armées navales de France..." C'est un peu plus formel, on sent que Duguay Trouin était officier lors de la rédaction mais on y retrouve l'ambiance de l'ouvrage de Jean Doublet vue d'un rang supérieur. Il est certain que c'est un peu plus lisse, plus valorisant pour l'auteur qui ne parle pas beaucoup de ses erreurs ou ses problèmes mais c'est agréable à lire.
Idem sur Gallica :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1073278p?rk=42918;4
Si vous avez des lectures accessibles (téléchargeables donc) à nous proposer, ce sera un plaisir de les partager. Je suis sûr que Gallica renferme de nombreux ouvrages de ce type.
Pendant ces vacances, j'ai lu, entre autres, deux ouvrages qu'on pourrait nommer plus ou moins aujourd'hui "biographies" bien qu'ils s'intitulent plus justement "journal" ou "mémoires".
Le premier est le "Journal du corsaire Jean Doublet, lieutenant de frégate de Louis XIV...", d'après son manuscrit. J'ai bien aimé ce livre qui détaille la vie et surtout l'époque et les conditions de vie d'un marin sous Louis XIV. L'ambiance de la marine l'époque est bien rendue et on se laisse prendre par les aventures multiples et variées de ce corsaire au service du Roi-Soleil avec la vision d'un homme de terrain (si je puis dire) évoluant dans un contexte peu souvent décrit par les historiens de la marine au commerce, la petite histoire vécue tous les jours par un corsaire au travers de la grande Histoire.
A télécharger sur votre ordi ou tablette, ici :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k204786p?rk=42918;4
Le second "Mémoires de Monsieur Duguay Trouin, Lieutenant général des armées navales de France..." C'est un peu plus formel, on sent que Duguay Trouin était officier lors de la rédaction mais on y retrouve l'ambiance de l'ouvrage de Jean Doublet vue d'un rang supérieur. Il est certain que c'est un peu plus lisse, plus valorisant pour l'auteur qui ne parle pas beaucoup de ses erreurs ou ses problèmes mais c'est agréable à lire.
Idem sur Gallica :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1073278p?rk=42918;4
Si vous avez des lectures accessibles (téléchargeables donc) à nous proposer, ce sera un plaisir de les partager. Je suis sûr que Gallica renferme de nombreux ouvrages de ce type.
dusuaum, Xtophe, matiz, Francis Graviou, f6bqi et le Spahi aiment ce message
Lectures
un petit roman historique qui fait bien naviguer , 1793 " les voiles de la république" par A. Ferrandizz , editions corsaire,
simple mais sympa . bonne lecture
simple mais sympa . bonne lecture
labarre- Messages : 383
Date d'inscription : 30/05/2010
Localisation : yvelines
le Spahi aime ce message
Re: Lectures
labarre a écrit:un petit roman historique qui fait bien naviguer , 1793 " les voiles de la république" par A. Ferrandizz , editions corsaire,
simple mais sympa . bonne lecture
Oui, je confirme, une lecture très agréable, tout comme la suite Voiles sur l'Irlande !
Thierry
Re: Lectures
Un de nos écrivains maritimes, Edouard Corbière, a écrit dans les années 1830/50 plusieurs romans appuyés sur son expérience de la vie maritime puisqu'il a été aspirant dans la Royale puis capitaine au commerce.
Il a livré plusieurs ouvrages qui décrivent la vie de nos marins dans le premier tiers du XIXe siècle ce qui change un peu des romans d'écriture "moderne" souvent d'origine anglaise qu'on trouve aujourd'hui.
Dans un de ses livres "La mer et les marins" de 1833, il dresse le portrait sans concession des us et coutumes de la marine de cette époque. Voici un extrait, je pourrais en publier d'autres si le sujet vous intéresse.
Le Cuisinier et le maître Coq.
Parmi les gens qui ont à bord une charge importante, il faut compter le cuisinier, et ensuite l'homme qu'on appelle improprement maître-coq; car il valait mieux conserver la dénomination de cook (mot anglais qui signifie cuisinier), que de donner au cuisinier de l'équipage le nom d'une volaille: mais, en fait d'étymologie, les marins n'y regardent pas de plus près que les académiciens qui vous apprennent que le mot Beefsteaks signifie une tranche de boeuf ou de mouton grillé.
Le cuisinier des officiers met à peu près entre lui et le maître-coq, la distance qui existe entre un bottier à la mode et le savetier du coin; mais ces deux êtres, séparés par la science et les prétentions, sont réunis par la nécessité dans une cahutte enfumée, de la largeur d'un tonneau, et presque toujours fixée sur le pont, où elle est en butte à tous les vents et à tous les coups de mer. C'est dans ce laboratoire exigu que le chimiste culinaire, debout, préside à la confection de ces dîners de bord, dont la propreté ne fait pas toujours les frais, et dans lesquels la délicatesse est souvent sacrifiée aux circonstances.
Les inconvénients attachés aux postes de cuisinier de navire n'engagent pas les phénix de la profession à s'embarquer pour parcourir, la casserole à la main, toute la sphéricité du globe. Aussi, nous l'avouerons, la plupart des cuisiniers de bord sont peu dignes du titre d'artiste, qu'ils s'arrogent modestement; car à les en croire, ils ne sortent tous de rien moins que de la bouche d'un ambassadeur, ou des fourneaux d'une excellence, ou même des cuisines de la cour. Ce serait cependant faire trop d'honneur au plus grand nombre que de supposer qu'ils sortent d'une assez mauvaise gargote.
Si ces messieurs, toutefois ne donnent pas toujours aux passagers et aux officiers, les preuves d'un talent qu'on aime à reconnaître, il faut convenir qu'il en est qui offrent, dans certaines circonstances, l'exemple d'un dévouement absolu. Lorsque le navire, incliné par l'effort d'un coup de vent, plonge à chaque instant sous les vagues qui enlèvent tout sur le pont, on voit le cuisinier se faire amarrer dans sa taverne; et là, attisant avec une pince rouillée quelques charbons que lui dispute la tempête, il attend, la bouilloire à la main, que le thé soit chaud, ou qu'une lame enlève dans son passage, lui, sa cuisine et tout ce qui l'environne.... Quelques cuisiniers ont vu trancher leurs destinées par des événements de mer assez brusques. Les grands bâtiments de guerre offrent aux desservants de Comus des temples plus sûrs; car c'est dans l'entrepont qu'on place les cuisines, et là, du moins, ces artistes sont à l'abri des coups de mer.
Depuis que le besoin de manger est devenu un art, et que cet art a été réduit en préceptes sous la plume des Beauvilliers et des Carème, les moindres gargotiers, fiers de leur vocation, se sont donné une teinte de littérature de cuisine. On pense bien que ceux qui se sont vus au milieu de matelots ordinairement peu lettrés, se sont arrogé à bord la suprématie de l'esprit et l'exploitation des bons mots; mais la rudesse des antagonistes qu'ils s'attirent parmi l'équipage leur fait trop souvent expier la douceur des airs qu'ils se donnent. Quelques hommes sont-ils insuffisants pour serrer une voile que le vent va mettre en lambeaux, le maître d'équipage ordonne au cuisinier de monter sur la vergue, où il a presque toujours mauvaise grâce, et c'est alors que les matelots, forts de leur adresse, se vengent par des apostrophes du malheureux, qui se cramponne à chaque objet comme à une planche de salut.
Le maître-coq d'un vaisseau de guerre est chargé, avec l'assistance de trois ou quatre aides, de diriger l'ébullition d'une chaudière dans laquelle il entre à peu près deux barriques d'eau. Après que l'équipage a porté sa viande dans ce potage collectif, la chaudière est fermée au cadenas par la commission nommée chaque jour pour surveiller la coquerie. Avec un appareil, on hisse ce vase énorme sur les bancs d'un immense foyer, et à midi on sonne la cloche pour avertir que la soupe va être trempée. La chaudière est descendue, cent gamelles sont rangées autour d'elle, et le maître-coq, monté sur une estrade, plonge la vaste cuiller dont il s'arme, dans les flots du clair bouillon, qu'il distribue avec l'air d'impartialité d'un Minos ou d'un Rhadamante; mais si le bouillon n'est pas du goût de ceux qui le reçoivent, si le boeuf ou le lard n'est pas cuit, ou l'est trop, alors les injures et quelquefois les lambeaux de viande pleuvent sur le triste chef de cuisine, que les officiers ont de la peine à arracher à l'animosité des matelots. Voilà un des mille désagréments du métier: en voici un privilége. A la mer, la viande salée rend, dans l'eau où on la fait bouillir, beaucoup de graisse; toute celle qui surnage appartient de droit au maître-coq, qui la vend à la première relâche; ensuite il jouit de la faveur de manger à la table du cambusier, où le vin rogné aux rations de l'équipage, est rarement épargné.
Malgré la surveillance que l'on porte à la propreté douteuse du maître-coq, il s'introduit souvent dans la chaudière des corps assez étrangers à la confection des potages bourgeois. On a été jusqu'à y trouver des chapeaux, des souliers, des couteaux, des morceaux de tabac, des bouts de manoeuvre, etc. Une punition prompte suit toujours de près ces négligences: le maître et les aides-coqs reçoivent sur le dos vingt à trente coups de corde, et, cette justice une fois rendue, le bouillon réconfortant est bu comme s'il n'avait été question de rien.
Il a livré plusieurs ouvrages qui décrivent la vie de nos marins dans le premier tiers du XIXe siècle ce qui change un peu des romans d'écriture "moderne" souvent d'origine anglaise qu'on trouve aujourd'hui.
Dans un de ses livres "La mer et les marins" de 1833, il dresse le portrait sans concession des us et coutumes de la marine de cette époque. Voici un extrait, je pourrais en publier d'autres si le sujet vous intéresse.
Le Cuisinier et le maître Coq.
Parmi les gens qui ont à bord une charge importante, il faut compter le cuisinier, et ensuite l'homme qu'on appelle improprement maître-coq; car il valait mieux conserver la dénomination de cook (mot anglais qui signifie cuisinier), que de donner au cuisinier de l'équipage le nom d'une volaille: mais, en fait d'étymologie, les marins n'y regardent pas de plus près que les académiciens qui vous apprennent que le mot Beefsteaks signifie une tranche de boeuf ou de mouton grillé.
Le cuisinier des officiers met à peu près entre lui et le maître-coq, la distance qui existe entre un bottier à la mode et le savetier du coin; mais ces deux êtres, séparés par la science et les prétentions, sont réunis par la nécessité dans une cahutte enfumée, de la largeur d'un tonneau, et presque toujours fixée sur le pont, où elle est en butte à tous les vents et à tous les coups de mer. C'est dans ce laboratoire exigu que le chimiste culinaire, debout, préside à la confection de ces dîners de bord, dont la propreté ne fait pas toujours les frais, et dans lesquels la délicatesse est souvent sacrifiée aux circonstances.
Les inconvénients attachés aux postes de cuisinier de navire n'engagent pas les phénix de la profession à s'embarquer pour parcourir, la casserole à la main, toute la sphéricité du globe. Aussi, nous l'avouerons, la plupart des cuisiniers de bord sont peu dignes du titre d'artiste, qu'ils s'arrogent modestement; car à les en croire, ils ne sortent tous de rien moins que de la bouche d'un ambassadeur, ou des fourneaux d'une excellence, ou même des cuisines de la cour. Ce serait cependant faire trop d'honneur au plus grand nombre que de supposer qu'ils sortent d'une assez mauvaise gargote.
Si ces messieurs, toutefois ne donnent pas toujours aux passagers et aux officiers, les preuves d'un talent qu'on aime à reconnaître, il faut convenir qu'il en est qui offrent, dans certaines circonstances, l'exemple d'un dévouement absolu. Lorsque le navire, incliné par l'effort d'un coup de vent, plonge à chaque instant sous les vagues qui enlèvent tout sur le pont, on voit le cuisinier se faire amarrer dans sa taverne; et là, attisant avec une pince rouillée quelques charbons que lui dispute la tempête, il attend, la bouilloire à la main, que le thé soit chaud, ou qu'une lame enlève dans son passage, lui, sa cuisine et tout ce qui l'environne.... Quelques cuisiniers ont vu trancher leurs destinées par des événements de mer assez brusques. Les grands bâtiments de guerre offrent aux desservants de Comus des temples plus sûrs; car c'est dans l'entrepont qu'on place les cuisines, et là, du moins, ces artistes sont à l'abri des coups de mer.
Depuis que le besoin de manger est devenu un art, et que cet art a été réduit en préceptes sous la plume des Beauvilliers et des Carème, les moindres gargotiers, fiers de leur vocation, se sont donné une teinte de littérature de cuisine. On pense bien que ceux qui se sont vus au milieu de matelots ordinairement peu lettrés, se sont arrogé à bord la suprématie de l'esprit et l'exploitation des bons mots; mais la rudesse des antagonistes qu'ils s'attirent parmi l'équipage leur fait trop souvent expier la douceur des airs qu'ils se donnent. Quelques hommes sont-ils insuffisants pour serrer une voile que le vent va mettre en lambeaux, le maître d'équipage ordonne au cuisinier de monter sur la vergue, où il a presque toujours mauvaise grâce, et c'est alors que les matelots, forts de leur adresse, se vengent par des apostrophes du malheureux, qui se cramponne à chaque objet comme à une planche de salut.
Le maître-coq d'un vaisseau de guerre est chargé, avec l'assistance de trois ou quatre aides, de diriger l'ébullition d'une chaudière dans laquelle il entre à peu près deux barriques d'eau. Après que l'équipage a porté sa viande dans ce potage collectif, la chaudière est fermée au cadenas par la commission nommée chaque jour pour surveiller la coquerie. Avec un appareil, on hisse ce vase énorme sur les bancs d'un immense foyer, et à midi on sonne la cloche pour avertir que la soupe va être trempée. La chaudière est descendue, cent gamelles sont rangées autour d'elle, et le maître-coq, monté sur une estrade, plonge la vaste cuiller dont il s'arme, dans les flots du clair bouillon, qu'il distribue avec l'air d'impartialité d'un Minos ou d'un Rhadamante; mais si le bouillon n'est pas du goût de ceux qui le reçoivent, si le boeuf ou le lard n'est pas cuit, ou l'est trop, alors les injures et quelquefois les lambeaux de viande pleuvent sur le triste chef de cuisine, que les officiers ont de la peine à arracher à l'animosité des matelots. Voilà un des mille désagréments du métier: en voici un privilége. A la mer, la viande salée rend, dans l'eau où on la fait bouillir, beaucoup de graisse; toute celle qui surnage appartient de droit au maître-coq, qui la vend à la première relâche; ensuite il jouit de la faveur de manger à la table du cambusier, où le vin rogné aux rations de l'équipage, est rarement épargné.
Malgré la surveillance que l'on porte à la propreté douteuse du maître-coq, il s'introduit souvent dans la chaudière des corps assez étrangers à la confection des potages bourgeois. On a été jusqu'à y trouver des chapeaux, des souliers, des couteaux, des morceaux de tabac, des bouts de manoeuvre, etc. Une punition prompte suit toujours de près ces négligences: le maître et les aides-coqs reçoivent sur le dos vingt à trente coups de corde, et, cette justice une fois rendue, le bouillon réconfortant est bu comme s'il n'avait été question de rien.
maqars, Pierre Blanc, radiau, Grandmiche, a.piot, bicdan, bernardw et aiment ce message
Re: Lectures
Sacré bonhomme ! Je m'abonne pour d'autres extraits.
Serge Drut- Messages : 80
Date d'inscription : 03/04/2022
Localisation : Lille
Re: Lectures
Excellent !
A quant une suite ?
A quant une suite ?
maqars- Messages : 1264
Date d'inscription : 23/05/2010
Localisation : Jodoigne ( Belgique )
le Spahi aime ce message
Re: Lectures
Le Goguelin.
C'était un bien bon navire que le vieux vaisseau l'Aquilon, mouillé depuis longues années dans la rade de Brest, où il pourrissait fièrement avec ses mâts de perroquets à flèche, son ourse et ses filets de casse-tête! Tous les matelots pouvaient jouer au paroli dans les vastes batteries de l'Aquilon, sans qu'un maussade capitaine d'armes vînt mettre brutalement fin à ces jeux de hasard, condamnés à la fois par la morale et la discipline. Les officiers faisaient faire leur ronde de nuit par les aspirants, qui confiaient ce service de rade aux timonniers, qui en chargeaient les pilotins, et ceux-ci, se carrant sur l'arrière du canot de ronde, représentaient pendant la nuit le lieutenant de service, qui dormait profondément dans sa chambre. C'était l'âge d'or du service maritime, et l'Aquilon figurait assez bien le bon Saturne de cet âge de paix en temps de guerre.
Tout allait cependant admirablement à bord du vaisseau et dans la division dont il faisait partie. On se donne mille fois plus de mal aujourd'hui pour n'être pas beaucoup plus heureux. Où donc, s'il vous plaît, est le progrès?
Mais ce qui caractérisait surtout la bonhomie de la marine dans ce temps-là, c'était la superstition des équipages. Il n'y avait pas de bâtiments où les vieux matelots ne crussent fort sérieusement aux revenants de bord. Ils appelaient ces espèces de loups-garous marins, des goguelins, par corruption du mot gobelin, spectre de nuit; kobalos, pour ceux qui savent le grec.
L'Aquilon avait comme de raison son goguelin à lui. Les pilotins, les mousses et les novices faisaient leurs délices des contes que l'on se plaisait à débiter le matin sur les courses nocturnes du farfadet domestique attaché au vaisseau, comme ces larves qui à terre élisent domicile dans certaines masures célèbres et redoutées. L'un l'avait entendu hurler ou soupirer dans le canon des pompes dont il était l'âme. L'autre l'avait vu y grimper comme un singe vaporeux, jusqu'à la pomme du grand mât; un troisième avait été réveillé dans son hamac par la main glaciale du fantôme. Quand le goguelin avait touché le sac de pois que l'on mettait quotidiennement dans la chaudière où bouillait le potage de sept cents hommes, les pois ne cuisaient plus; un sort avait été jeté sur eux, et le maître-coq recevait quinze coups de bout de corde pour la maladresse qu'on lui imputait. Le génie nocturne du vaisseau avait enfin une telle influence sur toute l'existence de l'équipage, que rien de ce qui se passait à bord ne paraissait indifférent à l'empire secret qu'il exerçait quelquefois si malicieusement.
Heureux âge de crédulité! combien les temps sont changés. La marine aujourd'hui s'est civilisée à ne plus la reconnaître: elle ne croit plus à rien, pas même à la vertu musculaire du feu Saint-Elme, qui auparavant passait pour aider les matelots à serrer un perroquet.
La nuit, lorsque les hamacs, suspendus au nombre de six à sept cents sous les ponts du vaisseaux l'Aquilon, renfermaient ce peuple de matelots endormis par l'histoire qui venait d'expirer entre les lèvres languissantes d'un conteur de batterie, le goguelin se glissait, à la faible lueur du fanal de la sainte-barbe, sous les hamacs qu'il secouait, et alors on entendait les marins ou les canonniers, réveillés par le fantôme, crier d'une voix émue: Le goguelin! le goguelin! gare au goguelin! Le canonnier de faction à la sainte-barbe dans la batterie basse, ou à la porte de la chambre des officiers, saisissait plus fortement son sabre et se disposait à frapper le revenant, qui toujours s'échappait en poussant des cris plaintifs, dont tous les peureux se sentaient glacés. Les esprits sont insaisissables comme on le sait, et ce privilége nous explique assez la difficulté que l'on a quelquefois à saisir la pensée de ceux qui passent à Paris pour nos esprits les plus fameux.
Un vendredi, jour férié pour les spectres et les revenants, vers onze heures du soir, le goguelin faisait sa tournée. La circonstance était favorable; le fanal de la sainte-barbe venait de s'éteindre en exhalant une puante odeur d'huile de poisson. Le canonnier, vestale très-masculine préposée à la garde du feu sacré, cherchait à rallumer sa mèche encore incandescente, lorsqu'une main très-vivante lui applique un vigoureux soufflet. Il court après le goguelin, dont il a cru reconnaître le pas. Le fantôme fuit, mais pas tellement vite, qu'il puisse échapper à la poursuite animée du souffleté. Un collet de chemise reste dans les doigts de celui-ci, et le farfadet, si bien appréhendé au corps, s'échappe en lame de feu, par un sabord de la batterie de 36, en laissant dans la main du canonnier la partie du linge par laquelle il a été saisi. Le canonnier donne l'alarme, tout le monde veut se lever, mais le capitaine de frégate, réveillé par le bruit, dont on lui explique la cause, ordonne que chacun reste couché, et qu'on s'assure de la présence de chacun de ceux des hommes dont le hamac est suspendu. Cette inspection d'un nouveau genre, ne produisit aucun renseignement précis. Seulement, en tâtant les hommes restés couchés, le capitaine d'armes crut remarquer une certaine humidité dans la peau d'un canonnier mulâtre, un peu orang-outang, très-bon nageur et personnage du reste très-facétieux, connu sous le nom de Tabago. Le capitaine d'armes conçut quelques soupçons sur le compte de Tabago, et rien de plus.
Quelques jours se passèrent, sans qu'on entendît parler du goguelin, mais les revenants aiment leur métier. Celui de l'Aquilon recommença bientôt ses courses nocturnes: on le poursuivit comme par le passé, d'abord assez vainement, puis enfin, un soir, on le force encore à se jeter à l'eau. Pour cette fois, le capitaine d'armes, qui l'avait entendu plonger, va visiter le hamac de Tabago, où il ne trouve pas son homme. Il se porte précipitamment dans la sainte-barbe: il ordonne quelques apprêts à deux canonniers qui le suivent, et ils restent tous trois l'oreille collée aux sabords de retraite, attendant l'événement.
Cinq à six minutes s'étaient à peine écoulées, que les trois guetteurs entendent la mer clapoter un peu sur l'arrière du vaisseau, puis les chaînes du gouvernail s'agiter légèrement. On fait silence: la lumière du grand fanal, qui projette sa clarté sur la table placée sous la tamissaille, a été éteinte par précaution. La scène va se passer dans la plus parfaite obscurité: C'est ce qu'on désire.
Quelque chose, un homme peut-être, grimpe le long des ferrures du gouvernail; il gagne avec lenteur, avec souplesse, le petit escalier pendu à l'un des sabords de retraite, il fait un dernier pas, et le voilà sortant de l'eau, dans la sainte-barbe même. Mais en faisant ce dernier pas, il trébuche et tombe.... Où? Vous ne le devinez pas! dans un filet, que le capitaine d'armes a tendu en dedans pour pêcher son fantôme. L'esprit attrapé ainsi au filet, se débat, mais en vain: on serre le trou de la seine, par lequel il est entré dans le piége. Les trois pêcheurs, armés chacun d'une bonne garcette, font voltiger leurs terrestres coups sur l'épine dorsale du revenant. On allume enfin les fanaux, et tous les curieux viennent jouir du spectacle singulier du goguelin pêché dans un casier!
Le goguelin du vaisseau l'Aquilon n'était autre chose que le mulâtre Tabago. L'esprit fut mis quinze jours aux fers, et les plus lourds des goguenards de l'équipage, en passant à côté de lui pour aller allumer leur pipe à la mèche de cuisine, lui répétèrent pendant quinze jours: Ah! tu as voulu faire le goguelin, Tabago!...
C'était un bien bon navire que le vieux vaisseau l'Aquilon, mouillé depuis longues années dans la rade de Brest, où il pourrissait fièrement avec ses mâts de perroquets à flèche, son ourse et ses filets de casse-tête! Tous les matelots pouvaient jouer au paroli dans les vastes batteries de l'Aquilon, sans qu'un maussade capitaine d'armes vînt mettre brutalement fin à ces jeux de hasard, condamnés à la fois par la morale et la discipline. Les officiers faisaient faire leur ronde de nuit par les aspirants, qui confiaient ce service de rade aux timonniers, qui en chargeaient les pilotins, et ceux-ci, se carrant sur l'arrière du canot de ronde, représentaient pendant la nuit le lieutenant de service, qui dormait profondément dans sa chambre. C'était l'âge d'or du service maritime, et l'Aquilon figurait assez bien le bon Saturne de cet âge de paix en temps de guerre.
Tout allait cependant admirablement à bord du vaisseau et dans la division dont il faisait partie. On se donne mille fois plus de mal aujourd'hui pour n'être pas beaucoup plus heureux. Où donc, s'il vous plaît, est le progrès?
Mais ce qui caractérisait surtout la bonhomie de la marine dans ce temps-là, c'était la superstition des équipages. Il n'y avait pas de bâtiments où les vieux matelots ne crussent fort sérieusement aux revenants de bord. Ils appelaient ces espèces de loups-garous marins, des goguelins, par corruption du mot gobelin, spectre de nuit; kobalos, pour ceux qui savent le grec.
L'Aquilon avait comme de raison son goguelin à lui. Les pilotins, les mousses et les novices faisaient leurs délices des contes que l'on se plaisait à débiter le matin sur les courses nocturnes du farfadet domestique attaché au vaisseau, comme ces larves qui à terre élisent domicile dans certaines masures célèbres et redoutées. L'un l'avait entendu hurler ou soupirer dans le canon des pompes dont il était l'âme. L'autre l'avait vu y grimper comme un singe vaporeux, jusqu'à la pomme du grand mât; un troisième avait été réveillé dans son hamac par la main glaciale du fantôme. Quand le goguelin avait touché le sac de pois que l'on mettait quotidiennement dans la chaudière où bouillait le potage de sept cents hommes, les pois ne cuisaient plus; un sort avait été jeté sur eux, et le maître-coq recevait quinze coups de bout de corde pour la maladresse qu'on lui imputait. Le génie nocturne du vaisseau avait enfin une telle influence sur toute l'existence de l'équipage, que rien de ce qui se passait à bord ne paraissait indifférent à l'empire secret qu'il exerçait quelquefois si malicieusement.
Heureux âge de crédulité! combien les temps sont changés. La marine aujourd'hui s'est civilisée à ne plus la reconnaître: elle ne croit plus à rien, pas même à la vertu musculaire du feu Saint-Elme, qui auparavant passait pour aider les matelots à serrer un perroquet.
La nuit, lorsque les hamacs, suspendus au nombre de six à sept cents sous les ponts du vaisseaux l'Aquilon, renfermaient ce peuple de matelots endormis par l'histoire qui venait d'expirer entre les lèvres languissantes d'un conteur de batterie, le goguelin se glissait, à la faible lueur du fanal de la sainte-barbe, sous les hamacs qu'il secouait, et alors on entendait les marins ou les canonniers, réveillés par le fantôme, crier d'une voix émue: Le goguelin! le goguelin! gare au goguelin! Le canonnier de faction à la sainte-barbe dans la batterie basse, ou à la porte de la chambre des officiers, saisissait plus fortement son sabre et se disposait à frapper le revenant, qui toujours s'échappait en poussant des cris plaintifs, dont tous les peureux se sentaient glacés. Les esprits sont insaisissables comme on le sait, et ce privilége nous explique assez la difficulté que l'on a quelquefois à saisir la pensée de ceux qui passent à Paris pour nos esprits les plus fameux.
Un vendredi, jour férié pour les spectres et les revenants, vers onze heures du soir, le goguelin faisait sa tournée. La circonstance était favorable; le fanal de la sainte-barbe venait de s'éteindre en exhalant une puante odeur d'huile de poisson. Le canonnier, vestale très-masculine préposée à la garde du feu sacré, cherchait à rallumer sa mèche encore incandescente, lorsqu'une main très-vivante lui applique un vigoureux soufflet. Il court après le goguelin, dont il a cru reconnaître le pas. Le fantôme fuit, mais pas tellement vite, qu'il puisse échapper à la poursuite animée du souffleté. Un collet de chemise reste dans les doigts de celui-ci, et le farfadet, si bien appréhendé au corps, s'échappe en lame de feu, par un sabord de la batterie de 36, en laissant dans la main du canonnier la partie du linge par laquelle il a été saisi. Le canonnier donne l'alarme, tout le monde veut se lever, mais le capitaine de frégate, réveillé par le bruit, dont on lui explique la cause, ordonne que chacun reste couché, et qu'on s'assure de la présence de chacun de ceux des hommes dont le hamac est suspendu. Cette inspection d'un nouveau genre, ne produisit aucun renseignement précis. Seulement, en tâtant les hommes restés couchés, le capitaine d'armes crut remarquer une certaine humidité dans la peau d'un canonnier mulâtre, un peu orang-outang, très-bon nageur et personnage du reste très-facétieux, connu sous le nom de Tabago. Le capitaine d'armes conçut quelques soupçons sur le compte de Tabago, et rien de plus.
Quelques jours se passèrent, sans qu'on entendît parler du goguelin, mais les revenants aiment leur métier. Celui de l'Aquilon recommença bientôt ses courses nocturnes: on le poursuivit comme par le passé, d'abord assez vainement, puis enfin, un soir, on le force encore à se jeter à l'eau. Pour cette fois, le capitaine d'armes, qui l'avait entendu plonger, va visiter le hamac de Tabago, où il ne trouve pas son homme. Il se porte précipitamment dans la sainte-barbe: il ordonne quelques apprêts à deux canonniers qui le suivent, et ils restent tous trois l'oreille collée aux sabords de retraite, attendant l'événement.
Cinq à six minutes s'étaient à peine écoulées, que les trois guetteurs entendent la mer clapoter un peu sur l'arrière du vaisseau, puis les chaînes du gouvernail s'agiter légèrement. On fait silence: la lumière du grand fanal, qui projette sa clarté sur la table placée sous la tamissaille, a été éteinte par précaution. La scène va se passer dans la plus parfaite obscurité: C'est ce qu'on désire.
Quelque chose, un homme peut-être, grimpe le long des ferrures du gouvernail; il gagne avec lenteur, avec souplesse, le petit escalier pendu à l'un des sabords de retraite, il fait un dernier pas, et le voilà sortant de l'eau, dans la sainte-barbe même. Mais en faisant ce dernier pas, il trébuche et tombe.... Où? Vous ne le devinez pas! dans un filet, que le capitaine d'armes a tendu en dedans pour pêcher son fantôme. L'esprit attrapé ainsi au filet, se débat, mais en vain: on serre le trou de la seine, par lequel il est entré dans le piége. Les trois pêcheurs, armés chacun d'une bonne garcette, font voltiger leurs terrestres coups sur l'épine dorsale du revenant. On allume enfin les fanaux, et tous les curieux viennent jouir du spectacle singulier du goguelin pêché dans un casier!
Le goguelin du vaisseau l'Aquilon n'était autre chose que le mulâtre Tabago. L'esprit fut mis quinze jours aux fers, et les plus lourds des goguenards de l'équipage, en passant à côté de lui pour aller allumer leur pipe à la mèche de cuisine, lui répétèrent pendant quinze jours: Ah! tu as voulu faire le goguelin, Tabago!...
maqars, Pierre Blanc, Francis Jonet, Grandmiche, a.piot, bernardw, laurent94 et aiment ce message
Re: Lectures
Excellent !
J'ai commandé hier un exemplaire du retirage de cet ouvrage sur eB... Ce n'est pas le plus connu.
Je comprends mieux à présent d'où proviennent les tapisseries... des goguelins !
Thierry
J'ai commandé hier un exemplaire du retirage de cet ouvrage sur eB... Ce n'est pas le plus connu.
Je comprends mieux à présent d'où proviennent les tapisseries... des goguelins !
Thierry
Re: Lectures
Dis-nous Gérard , tu passes un temps fou à écrire cela ! Est-ce un conte ou une histoire vrai que ce mécréant de Tabago jouant au Goguelin ?
C'est de la très bonne prose plaisante à lire.
C'est de la très bonne prose plaisante à lire.
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Francis
Francis Jonet- Modérateur
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Date d'inscription : 24/05/2010
Localisation : Moulin-Neuf - Ariège
Re: Lectures
Non, ni saisie, ni OCR, cet ouvrage et d'autres d'Edouard Corbière existent en ligne. Je copie simplement des extraits pour vous faire profiter de ces écrits sur la Royale.
a.piot aime ce message
Re: Lectures
Bonjour Gérard,
Malgré la source de ces histoires dévoilée, j’espère que vous continuerez à nous en conter quelques...
La question du jour : jouer au paroli ? Gogol fournit plusieurs explications, mais sur notre navire, quel était exactement la définition de ce jeux interdit et portant atteinte à la morale ?
Malgré la source de ces histoires dévoilée, j’espère que vous continuerez à nous en conter quelques...
La question du jour : jouer au paroli ? Gogol fournit plusieurs explications, mais sur notre navire, quel était exactement la définition de ce jeux interdit et portant atteinte à la morale ?
maqars- Messages : 1264
Date d'inscription : 23/05/2010
Localisation : Jodoigne ( Belgique )
Re: Lectures
Aucune idée mais j'imagine que c'est comme à terre, doubler sa mise dans certains jeux de cartes.
maqars et a.piot aiment ce message
Re: Lectures
Un délice ces textes qui évoquent avant tout le côté humain de cette marine .
Merci .
Merci .
radiau- Messages : 284
Date d'inscription : 24/05/2010
Re: Lectures
Une nouvelle.... nouvelle :
Les filets d'abordage
Nous avons quelquefois eu lieu de parler à nos lecteurs de cet appareil dont les petits bâtiments de guerre s'enveloppent au mouillage, en certaines circonstances critiques. Comme les marins seuls connaissent ce genre de défense, et que nous écrivons surtout nos esquisses maritimes, pour les gens étrangers à la marine, nous allons essayer de donner ici une idée exacte de ce qu'on entend par des filets d'abordage.
Ces filets, dont la maille est à peu près de la largeur de la main, sont faits avec un cordage de la grosseur du petit doigt. Fixés par leur base sur la partie extérieure du bastingage, ils font le tour du navire qu'ils sont destinés à protéger contre les coups de main de l'ennemi. Des montants placés à une certaine distance les uns des autres servent à élever les filets à huit ou dix pieds de haut au-dessus des bastingages, et lorsque ce réseau de cordes est tendu, au moyen des drisses qui le soutiennent, le bâtiment se trouve entouré d'un treillage plus difficile à franchir que les chevaux-de-frise, que l'on élève à terre avec tant de peine et de temps.
C'est là, peut-être, ce que l'on concevrait difficilement sans l'expérience, qui a tant de fois démontré l'excellence des filets d'abordage dans les attaques subites, et contre les coups-de-main les plus hardis.
Mais pour que ces filets puissent remplir complétement le but qu'on se propose en les gréant (c'est le mot), il faut que ceux qui les dressent aient soin de ne pas trop les raidir, et de laisser ce qu'on appelle du mou dedans. Lorsque les marins des péniches attaquent un navire garanti par ses filets, ils sont ordinairement armés de longues faux, avec lesquelles ils cherchent à couper le réseau qui les empêche de sauter à bord. On sent bien que si les mailles du filet étaient trop raides, les assaillants parviendraient, plus aisément que lorsqu'elles sont molles, à couper le cordage tendu.
Quelquefois nos bâtiments convoyeurs, non contents de dresser des filets d'abordage, selon la manière que nous venons d'indiquer, cherchaient encore à se prémunir contre les attaques de nuit, en installant de doubles filets.
Ce dernier genre de réseau de corde n'est pas destiné, comme son nom semblerait l'indiquer, à doubler seulement les filets simples. C'est une tout autre installation.
Les doubles filets d'abordage se dressent sur des montants ou des esparres, qui se meuvent verticalement le long du bord, où ils sont établis sur des charnières. Cette espèce de large tissu figure assez bien, sur les flancs d'un navire, ces filets avec lesquels on prend à terre des alouettes au miroir. Ce sont, à proprement parler, des ailes que l'on établit autour du bastingage. Au bout de chaque montant, on frappe une drisse et on suspend un boulet ou une gueuse de cinquante, pour que le poids de ces lourds objets puisse faire tomber sur la mer les filets abandonnés à eux-mêmes, quand on largue les drisses qui les tiennent élevés sur leurs montants mobiles.
Les filets simples sont une arme défensive; les filets doubles sont une arme offensive. Voilà la différence entre ces deux appareils.
Il est facile de comprendre que lorsque les péniches viennent aborder un navire ainsi garanti par ses doubles filets, il suffit de larguer ce redoutable appareil pour que les assaillants se trouvent pris sous les mailles des filets, qui tombent sur eux de manière à les envelopper comme dans un piége. Alors rien ne devient plus aisé pour l'équipage du bâtiment abordé, que d'accabler à coups de fusil et à coups de canon des assaillants à qui la liberté de se mouvoir et d'agir hostilement vient d'être ôtée.
Un fait que l'on m'a souvent raconté, et dont tous les détails sont encore présents à ma mémoire, servira mieux encore que toutes les descriptions que l'on pourrait donner, à faire connaître tout le parti que pouvaient retirer de l'emploi des filets, les petits bâtiments de guerre qui mouillent sur les côtes, en présence de l'ennemi, dont ils ont à redouter les tentatives d'abordage pendant la nuit.
Un lougre, corsaire du Nord, de Dieppe ou de Calais, je crois, se trouva être chassé, après avoir fait quelques prises, par une corvette anglaise, à laquelle il ne put échapper qu'en mouillant en dedans des bancs de Somme, sur un fond que le bâtiment ennemi, avec son grand tirant d'eau, ne pouvait s'exposer à franchir. La nuit s'approchait; mais avant que l'obscurité ne vînt envelopper tous les objets autour de lui, le capitaine du lougre vit, à la longue vue, la corvette mettre trois embarcations à l'eau, et puis après, ces embarcations, recevoir des armes qu'on faisait passer par dessus les bastingages, aux hommes qui les montaient.... Plus de doute; les péniches anglaises devaient venir, pendant la nuit, attaquer au mouillage, qu'il ne pouvait plus quitter, le pauvre corsaire français!
Il ne fut pas difficile au capitaine du lougre de faire comprendre à son équipage tout le danger qu'il allait courir. Le corsaire n'avait pas de filets d'abordage: on se décida à en faire sans perdre de temps. Chacun se mit vaillamment à l'ouvrage, et avant l'heure de la marée, que devaient choisir les Anglais pour l'attaquer, le lougre se trouva encagé et garanti, non pas seulement avec ses filets simples, mais encore avec les doubles filets qu'il venait d'improviser.
«Les Anglais peuvent arriver maintenant quand il leur plaira, dit le capitaine à son équipage; vous les avez déjà battus d'avance.»
Et, en effet, de longs avirons, au bout desquels s'étendaient extérieurement les doubles filets, présentaient autour du lougre l'aspect de deux énormes éventails prêts à envelopper, et à écraser tout ce qui aurait l'imprudence d'approcher le navire.
On veillait partout, à bord du corsaire, aux bossoirs, à la hanche, par le travers. Tous les yeux effleuraient les flots calmes et silencieux; toutes les oreilles cherchaient à entendre le moindre bruit, le mugissement des flots, le vagissement de la houle à terre, le frémissement du peu de brise qui se jouait au roulis, dans les haubans et dans la mâture du lougre.
Quelques heures d'attente se passent ainsi. On ne chante plus à bord du corsaire; on se parle tout bas: le capitaine veut faire croire aux Anglais que tout sommeille à son bord.... Minuit arrive.... On n'aperçoit rien encore; on n'entend rien....
A une heure, un des officiers, placé sur l'avant, traverse la foule des hommes armés jusqu'aux dents, et qui encombrent le pont trop étroit du corsaire; il dit au capitaine: «Capitaine, regardez bien là.» Le capitaine regarde.... «Ce sont les péniches. Silence, enfants! veillez bien à ne faire feu et à n'amener nos doubles filets qu'à mon seul commandement...» L'équipage ne répond seulement pas, oui, capitaine, tant il sent la nécessité de faire silence et d'obéir sans dire un mot à l'ordre de son chef....
Quel moment, que celui qui précède de si peu une attaque de nuit, à laquelle on est préparé! Comme les coeurs palpitent! comme les mains qui se rencontrent se pressent en frémissant de plaisir, de crainte ou d'impatience! Il y a bien des adieux faits en silence, et d'une manière bien expressive, dans un pareil instant!...
Les péniches approchent. Trois points noirs se dessinent sur les flots. Les coups d'aviron, que donnent par longs intervalles les Anglais, sont encore sourds, mais on les entend, malgré la précaution qu'ils ont prise de garnir en drap leurs rames au portage, pour assourdir le bruit de leur nage. Rendus à une demi-portée de fusil du lougre, ils lèvent leurs rames: le plus grand silence règne partout dans l'obscurité qui enveloppe cette scène mystérieuse, et qui va devenir bientôt si terrible et si animée.... Les péniches paraissent se défier du calme qu'elles remarquent à bord du lougre. Elles se décident, au cas où elles seraient vues, à attendre la volée de l'ennemi, pour l'aborder ensuite avant qu'il n'ait pu recharger ses pièces.... Le capitaine français, qui pénètre le motif de leur retard à l'aborder, feint de tomber dans le piége: il ordonne de faire feu de deux pièces seulement; et, après cette explosion, les péniches donnent deux ou trois bons coups d'aviron, et les voilà le long du corsaire....
C'est alors que les coups de feu partent, que les pièces pointées à couler bas, percent les péniches. Les assaillants veulent sauter à bord: ils rencontrent les filets d'abordage. Une des péniches veut fuir, et les doubles filets s'abaissent sur les embarcations, qu'ils enlacent de leurs réseaux inextricables: «Rendez-vous! rendez-vous!» crie le capitaine du corsaire aux Anglais, que les gens du lougre fusillent, pendant qu'ils cherchent à se dépêtrer de la maille des doubles filets. Les assaillants, assaillis à leur tour, sont percés, accablés, foudroyés sans défense. Ils ne peuvent que crier qu'ils se rendent.... Le feu cesse alors. On ouvre une petite partie des filets, et chaque prisonnier que l'on dégage du piége, passe à bord du corsaire pour être renfermé dans la cale. Une fois les péniches vides, on travaille, pour les maintenir sur l'eau, à boucher vite les trous des boulets qu'elles ont reçus.
A peine tous les prisonniers désarmés sont-ils fourrés dans la cale, que le capitaine du corsaire s'écrie: «Mes amis, ce n'est pas le tout; la corvette a voulu nous prendre, il faut la prendre elle-même! Sautez-moi en double dans les péniches, allez prendre une touline sur l'avant pour remorquer le lougre; coupons nos amarres, et gouvernons sur la corvette anglaise!»
Cet ordre est aussi vite exécuté que l'intention du capitaine est comprise. Les péniches, nageant sur l'avant, halent le corsaire vers l'endroit où l'ennemi est mouillé. Au bout d'une demi-heure d'efforts, le lougre est amené le long de la corvette anglaise, qui croit voir dans le navire qui s'approche, l'ennemi que ses péniches sont parvenues à enlever. Aussi, dès que le commandant anglais pense que le lougre est rendu assez près de lui, il lui hèle de jeter l'ancre. Il n'est plus temps: les trois embarcations qui remorquent le corsaire coupent leur touline et accostent la corvette, pendant que le lougre, avec les avirons qu'il a bordés lui-même, approche l'ennemi par l'arrière, et lui jette tout son monde à bord....
La corvette, qui s'était dépourvue de la plus grande partie de son équipage, pour armer les péniches qui devaient enlever le lougre, se rend au bout de quelques minutes d'abordage. Le soir même de ce jour, si bien employé par le corsaire, le lougre victorieux rentrait à Calais, avec la double et glorieuse capture qu'il venait de faire.
Les filets d'abordage
Nous avons quelquefois eu lieu de parler à nos lecteurs de cet appareil dont les petits bâtiments de guerre s'enveloppent au mouillage, en certaines circonstances critiques. Comme les marins seuls connaissent ce genre de défense, et que nous écrivons surtout nos esquisses maritimes, pour les gens étrangers à la marine, nous allons essayer de donner ici une idée exacte de ce qu'on entend par des filets d'abordage.
Ces filets, dont la maille est à peu près de la largeur de la main, sont faits avec un cordage de la grosseur du petit doigt. Fixés par leur base sur la partie extérieure du bastingage, ils font le tour du navire qu'ils sont destinés à protéger contre les coups de main de l'ennemi. Des montants placés à une certaine distance les uns des autres servent à élever les filets à huit ou dix pieds de haut au-dessus des bastingages, et lorsque ce réseau de cordes est tendu, au moyen des drisses qui le soutiennent, le bâtiment se trouve entouré d'un treillage plus difficile à franchir que les chevaux-de-frise, que l'on élève à terre avec tant de peine et de temps.
C'est là, peut-être, ce que l'on concevrait difficilement sans l'expérience, qui a tant de fois démontré l'excellence des filets d'abordage dans les attaques subites, et contre les coups-de-main les plus hardis.
Mais pour que ces filets puissent remplir complétement le but qu'on se propose en les gréant (c'est le mot), il faut que ceux qui les dressent aient soin de ne pas trop les raidir, et de laisser ce qu'on appelle du mou dedans. Lorsque les marins des péniches attaquent un navire garanti par ses filets, ils sont ordinairement armés de longues faux, avec lesquelles ils cherchent à couper le réseau qui les empêche de sauter à bord. On sent bien que si les mailles du filet étaient trop raides, les assaillants parviendraient, plus aisément que lorsqu'elles sont molles, à couper le cordage tendu.
Quelquefois nos bâtiments convoyeurs, non contents de dresser des filets d'abordage, selon la manière que nous venons d'indiquer, cherchaient encore à se prémunir contre les attaques de nuit, en installant de doubles filets.
Ce dernier genre de réseau de corde n'est pas destiné, comme son nom semblerait l'indiquer, à doubler seulement les filets simples. C'est une tout autre installation.
Les doubles filets d'abordage se dressent sur des montants ou des esparres, qui se meuvent verticalement le long du bord, où ils sont établis sur des charnières. Cette espèce de large tissu figure assez bien, sur les flancs d'un navire, ces filets avec lesquels on prend à terre des alouettes au miroir. Ce sont, à proprement parler, des ailes que l'on établit autour du bastingage. Au bout de chaque montant, on frappe une drisse et on suspend un boulet ou une gueuse de cinquante, pour que le poids de ces lourds objets puisse faire tomber sur la mer les filets abandonnés à eux-mêmes, quand on largue les drisses qui les tiennent élevés sur leurs montants mobiles.
Les filets simples sont une arme défensive; les filets doubles sont une arme offensive. Voilà la différence entre ces deux appareils.
Il est facile de comprendre que lorsque les péniches viennent aborder un navire ainsi garanti par ses doubles filets, il suffit de larguer ce redoutable appareil pour que les assaillants se trouvent pris sous les mailles des filets, qui tombent sur eux de manière à les envelopper comme dans un piége. Alors rien ne devient plus aisé pour l'équipage du bâtiment abordé, que d'accabler à coups de fusil et à coups de canon des assaillants à qui la liberté de se mouvoir et d'agir hostilement vient d'être ôtée.
Un fait que l'on m'a souvent raconté, et dont tous les détails sont encore présents à ma mémoire, servira mieux encore que toutes les descriptions que l'on pourrait donner, à faire connaître tout le parti que pouvaient retirer de l'emploi des filets, les petits bâtiments de guerre qui mouillent sur les côtes, en présence de l'ennemi, dont ils ont à redouter les tentatives d'abordage pendant la nuit.
Un lougre, corsaire du Nord, de Dieppe ou de Calais, je crois, se trouva être chassé, après avoir fait quelques prises, par une corvette anglaise, à laquelle il ne put échapper qu'en mouillant en dedans des bancs de Somme, sur un fond que le bâtiment ennemi, avec son grand tirant d'eau, ne pouvait s'exposer à franchir. La nuit s'approchait; mais avant que l'obscurité ne vînt envelopper tous les objets autour de lui, le capitaine du lougre vit, à la longue vue, la corvette mettre trois embarcations à l'eau, et puis après, ces embarcations, recevoir des armes qu'on faisait passer par dessus les bastingages, aux hommes qui les montaient.... Plus de doute; les péniches anglaises devaient venir, pendant la nuit, attaquer au mouillage, qu'il ne pouvait plus quitter, le pauvre corsaire français!
Il ne fut pas difficile au capitaine du lougre de faire comprendre à son équipage tout le danger qu'il allait courir. Le corsaire n'avait pas de filets d'abordage: on se décida à en faire sans perdre de temps. Chacun se mit vaillamment à l'ouvrage, et avant l'heure de la marée, que devaient choisir les Anglais pour l'attaquer, le lougre se trouva encagé et garanti, non pas seulement avec ses filets simples, mais encore avec les doubles filets qu'il venait d'improviser.
«Les Anglais peuvent arriver maintenant quand il leur plaira, dit le capitaine à son équipage; vous les avez déjà battus d'avance.»
Et, en effet, de longs avirons, au bout desquels s'étendaient extérieurement les doubles filets, présentaient autour du lougre l'aspect de deux énormes éventails prêts à envelopper, et à écraser tout ce qui aurait l'imprudence d'approcher le navire.
On veillait partout, à bord du corsaire, aux bossoirs, à la hanche, par le travers. Tous les yeux effleuraient les flots calmes et silencieux; toutes les oreilles cherchaient à entendre le moindre bruit, le mugissement des flots, le vagissement de la houle à terre, le frémissement du peu de brise qui se jouait au roulis, dans les haubans et dans la mâture du lougre.
Quelques heures d'attente se passent ainsi. On ne chante plus à bord du corsaire; on se parle tout bas: le capitaine veut faire croire aux Anglais que tout sommeille à son bord.... Minuit arrive.... On n'aperçoit rien encore; on n'entend rien....
A une heure, un des officiers, placé sur l'avant, traverse la foule des hommes armés jusqu'aux dents, et qui encombrent le pont trop étroit du corsaire; il dit au capitaine: «Capitaine, regardez bien là.» Le capitaine regarde.... «Ce sont les péniches. Silence, enfants! veillez bien à ne faire feu et à n'amener nos doubles filets qu'à mon seul commandement...» L'équipage ne répond seulement pas, oui, capitaine, tant il sent la nécessité de faire silence et d'obéir sans dire un mot à l'ordre de son chef....
Quel moment, que celui qui précède de si peu une attaque de nuit, à laquelle on est préparé! Comme les coeurs palpitent! comme les mains qui se rencontrent se pressent en frémissant de plaisir, de crainte ou d'impatience! Il y a bien des adieux faits en silence, et d'une manière bien expressive, dans un pareil instant!...
Les péniches approchent. Trois points noirs se dessinent sur les flots. Les coups d'aviron, que donnent par longs intervalles les Anglais, sont encore sourds, mais on les entend, malgré la précaution qu'ils ont prise de garnir en drap leurs rames au portage, pour assourdir le bruit de leur nage. Rendus à une demi-portée de fusil du lougre, ils lèvent leurs rames: le plus grand silence règne partout dans l'obscurité qui enveloppe cette scène mystérieuse, et qui va devenir bientôt si terrible et si animée.... Les péniches paraissent se défier du calme qu'elles remarquent à bord du lougre. Elles se décident, au cas où elles seraient vues, à attendre la volée de l'ennemi, pour l'aborder ensuite avant qu'il n'ait pu recharger ses pièces.... Le capitaine français, qui pénètre le motif de leur retard à l'aborder, feint de tomber dans le piége: il ordonne de faire feu de deux pièces seulement; et, après cette explosion, les péniches donnent deux ou trois bons coups d'aviron, et les voilà le long du corsaire....
C'est alors que les coups de feu partent, que les pièces pointées à couler bas, percent les péniches. Les assaillants veulent sauter à bord: ils rencontrent les filets d'abordage. Une des péniches veut fuir, et les doubles filets s'abaissent sur les embarcations, qu'ils enlacent de leurs réseaux inextricables: «Rendez-vous! rendez-vous!» crie le capitaine du corsaire aux Anglais, que les gens du lougre fusillent, pendant qu'ils cherchent à se dépêtrer de la maille des doubles filets. Les assaillants, assaillis à leur tour, sont percés, accablés, foudroyés sans défense. Ils ne peuvent que crier qu'ils se rendent.... Le feu cesse alors. On ouvre une petite partie des filets, et chaque prisonnier que l'on dégage du piége, passe à bord du corsaire pour être renfermé dans la cale. Une fois les péniches vides, on travaille, pour les maintenir sur l'eau, à boucher vite les trous des boulets qu'elles ont reçus.
A peine tous les prisonniers désarmés sont-ils fourrés dans la cale, que le capitaine du corsaire s'écrie: «Mes amis, ce n'est pas le tout; la corvette a voulu nous prendre, il faut la prendre elle-même! Sautez-moi en double dans les péniches, allez prendre une touline sur l'avant pour remorquer le lougre; coupons nos amarres, et gouvernons sur la corvette anglaise!»
Cet ordre est aussi vite exécuté que l'intention du capitaine est comprise. Les péniches, nageant sur l'avant, halent le corsaire vers l'endroit où l'ennemi est mouillé. Au bout d'une demi-heure d'efforts, le lougre est amené le long de la corvette anglaise, qui croit voir dans le navire qui s'approche, l'ennemi que ses péniches sont parvenues à enlever. Aussi, dès que le commandant anglais pense que le lougre est rendu assez près de lui, il lui hèle de jeter l'ancre. Il n'est plus temps: les trois embarcations qui remorquent le corsaire coupent leur touline et accostent la corvette, pendant que le lougre, avec les avirons qu'il a bordés lui-même, approche l'ennemi par l'arrière, et lui jette tout son monde à bord....
La corvette, qui s'était dépourvue de la plus grande partie de son équipage, pour armer les péniches qui devaient enlever le lougre, se rend au bout de quelques minutes d'abordage. Le soir même de ce jour, si bien employé par le corsaire, le lougre victorieux rentrait à Calais, avec la double et glorieuse capture qu'il venait de faire.
hrv1, bicdan, bernardw, j.rob et le Spahi aiment ce message
Re: Lectures
Je suppose que l'emploi du mot "péniche" provient d'une traduction du mot "barge" qui est en fait l'équivalent français du grand canot ?
Thierry
Thierry
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