Affût anglais de 9-pounder au 1:10. Système de 1760 d'après J. Robertson en 1775.

3. Tableau des numéros de série des canons en fonction des années de production. On constate que le numéro relevé sur l'un des tourillons de l'un des canons du Dragon de L'Espine - 982 -  ne correspond pas à la tranche donnée pour 1778 (année de la fonte)... sauf s'il faut comprendre que l'inscription complète sur le papier serait 24 982, avec reportés sur les tourillons l'année (1778) et le numéro à trois chiffres dans la série des 24 000... La réponse à mon hypothèse viendra de la comparaison faite avec le système adopté pour d'autres inscriptions de canons produits Carron à la même époque... On devrait peut-être trouver la réponse dans l'ouvrage d'Adrian B. Caruana sur l'artillerie.



Thierry

Thierry, j’admire tout ton travail de recherche !

Bonjour,

En essayant de contacter l'auteur de l'ouvrage Where iron runs like water!, je suis entré dans le site de la Société d'Histoire de Falkirk (Carron) et j'ai demandé que mon courriel soit transmis à Brian Watters...
Trentes minutes plus tard, je recevais un courriel de sa part avec la pièce d'archive demandée (la planche du Light Constructed Gun qui est peu lisible dans l'ouvrage) ! Ils sont quand même forts ces Ecossais !



Thierry

Deux clichés reçus à l'instant de Brian Watters. Il s'agit d'un tube fondu par Carron en 1778 (même année que celui du Dragon).
On notera parmi les différences par rapport au modèle initial du dessin, la forme assez marquée de la tulipe.





Thierry

On le retrouve en ligne en meilleur état :
https://i.pinimg.com/originals/91/5e/c2/915ec2eee36f5d6985b3a8ca9a0db36e.jpg

Bons documents, authentiques.
Par-contre l'affût... mais bon je ne connais pas bien les affûts anglais (voire écossais )

Ah ! L'affût on n'en parle même pas...

Je pense que c'est un canon retrouvé au Canada (il y a tout un inventaire en ligne, si je me souviens bien).

Thierry

Voici un autre document très intéressant qui montre assez bien plusieurs choses :

- la forme de la culasse de l'un des modèles de 1776 de "Light New Constructed Gun" qui est tout à fait dans le style (un peu surprenant) des tubes du Dragon de L'Espine ;

- la forme encore très sommaire d'un exemple de "Carronade" (caronade) de 1778 ;

On se trouve donc, du côté britannique, à la charnière d'une évolution qui voit d'une part les canons classiques s'alléger en utilisant des minerais de fer triés sur le volet et des machines à forer horizontales performantes, et d'autre part l'arrivée de caronades pour l'heure rustiques mais au perfectionnement rapide.



Thierry

Suite...

Je voulais rajouter qu'il est assez surprenant que Carron se soit ainsi trouvé à la croisée des chemins, tant sa production initiale était décriée du fait de sa mauvaise qualité, en particulier par le Board of Ordnance qui effectuait ses tests (aux frais du fabricant !) et ses recettes à Woolwich.

L'entreprise était au plus bas en 1771 et s'est remise en cause en effectuant des fontes séparées pour chacun de ses types de minerai de fer, éliminant ainsi les fournisseurs dont la qualité était insuffisante. L'arrivée de nouvelles machines à forer et le dynamisme des chercheurs (mise au point de la caronade) ont fait le reste.

Thierry

le Spahi a écrit:Bonjour,

Pour ceux qui s'intéressent aux forges en général et à celle de Carron en particulier, je signale cet ouvrage de 2001 qui m'avait échappé lorsque j'avais effectué des recherches :

Bian Watters, Where Iron Runs Like Water!: A New History of the Carron Iron Works, 1759-1982, John Donald Publishers, Ecosse, 2001 (1998 ?), 242 p.

Thierry

Depuis cette "annonce", j'ai découvert l'existence d'un autre ouvrage de Brian Watters, paru en 2010 et reprenant à peu de choses près le titre de son ouvrage de 1998 :

Bian Watters, Carron: Where Iron Runs Like Water!, Falkirk Local History Society, Ecosse, 2010, 450 p.
ISBN-13: 978-0956048028
J'en avais repéré un exemplaire  sur ce lien (l'ouvrage est proposé à son prix de vente initial de £ 75 + port, d'autres propositions sont beaucoup plus chères) :
https://biblio.co.uk/9780956048028

Avant de me lancer dans un tel achat (plus de 100 euros), j'ai demandé à Brian Watters si j'y trouverais plus de choses sur les canons produits par Carron du fait du nombre de pages (450 contre 242 p.). Il m'a aussitôt répondu très honnêtement que le second ouvrage n'apportait rien de plus dans mon domaine d'intéret...

De mon côté, je précise également que les ouvrages de Brian Watters ne présentent pas comme thème principal la fabrique des canons et des caronades (cf. question de Yoann). Ces sujets sont abordés dans le cadre de la description de l'évolution de l'entreprise entre 1759 et 1982. Brian Watters a travaillé pendant 35 ans chez les avatars de Carron.

Thierry

le Spahi a écrit:2. Le premier modèle du canon léger produit par Carron, à peu près à la même époque que les premières caronades. C'est le même style de dessin que l'on retrouve sur le relevé archéologique fait à partir de l'un des canons du Dragon (le mieux conservé au niveau des inscription sur les tourillons).
Le document des archives de la Bibliothèque d'Ecosse précise que ce canon était proposé en deux longueurs : 15 et 17 calibres, soit à peu près, pour un 9-pounders de 17 calibres :17 x 4 in = 68 in = 5,6667 ft = 5 ft 8 in = 1,70 à 1,73 m.
Bilan, dans mon évaluation réalisée à partir du dessin des plongeurs, j'ai surévalué de 7 cm la longeur de l'âme du canon du Dragon que j'ai qualifié de 6 ft 9-pounders alors qu'il s'agit vraisemblablement d'un 5 ft 8 in 9-pounders. Bon, ce n'est pas non plus une "catastrophe" !  



N.B. SRO stands for Scottish Record Office Edinburgh (Carron Company Papers).

Thierry

Bonsoir,

Just to be sure to be sure (belt and suspenders), j'ai refait tous mes calculs (measure twice and cut once!)...

Mes calculs initiaux - qui figurent dans l'ouvrage - sont bons !

Le plan initial (transmis par Brian Waters) est une chose mais les canons du Dragon au fond de l'eau en sont une autre : la longeur du tube est bien de 18 calibres (1,80m) et non de 17 calibres. Carron a donc produit, deux années après le plan initial, des canons légers de 18 calibres. Après avoir vérifié sur le papier, on peut prendre la maquette au 1:10 de la pièce de 9-pounders réalisée par Gérard Chenivesse et Jacques Maillière, on mesure 181 mm entre le "muzzle" et l'extérieur du "base ring"; le calibre à l'échelle étant de 10 mm, on a bien un tube de 18 calibres.

Thierry

Bonjour,

Une information relevée en passant dans l'ouvrage de Caruana, sur le "traitement anticorrosion" des boulets de canon dans la Royal Navy.

Caruana

In a letter from Captain Andrew Frazer to Thomas Blomefield dating from 1780, is an interesting recipe for the varnishing of round shot: “they should be varnished while hot with some such composition as the following, viz two pounds of hog’s lard, an ounce of camphor, and as much black lead as renders the mixture of an iron color”.

Tentative de traduction.
Dans une lettre du capitaine Andrew Frazer à Thomas Blomefield datant de 1780, se trouve une recette intéressante pour le vernissage des boulets : "ils doivent être vernis à chaud avec une composition telle que la suivante, à savoir deux livres de saindoux de porc, une once de camphre, et autant de graphite que nécessaire pour obtenir un mélange de couleur fer."

Thierry

On va pouvoir comparer - au moins sommairement - le plan initial de 1776 et le canon du Dragon fondu en 1778 à Falkirk...



Thierry

La planche amendée :



Thierry

Merci pour le partage des extraits

La planche amendée... améliorée :



Thierry

Mon texte :

[...]
   "La Compagnie Carron est bien connue pour avoir mis au point la Carronade à la fin des années 1770. Cette pièce d’artillerie de forme ramassée à tube court, tirant à boulet et à mitraille à bonne cadence, est beaucoup plus légère qu’un canon de marine classique de même calibre. La Carronade est adoptée par les Anglais à partir de 1779, puis par les Français à partir de 1795 sous le nom de caronade. Quel que soit son calibre, la caronade ne nécessite que quatre hommes pour la servir, contre quinze hommes pour une pièce classique de 36 livres. Par contre, sa portée est plus limitée, n’excédant pas deux encablures (400 m). Mais les canons trouvés sur l’épave ne sont en aucun cas des caronades en dépit du nom évocateur gravé sur les tourillons, ce sont des canons de marine classiques en fonte de fer.

    Avant le développement de la caronade, la Compagnie Carron produisait des canons d'assez mauvaise qualité. Au début des années 1770, le Board of Ordnance décide que la Compagnie ne fabriquera plus d'armes longues pour le gouvernement et que les canons Carron seront systématiquement retirés de tous les navires de la Royal Navy. À la tête de la compagnie, Charles Gascoigne prend alors les mesures qui s’imposent. La première mesure consiste à ne plus mélanger les minerais provenant de différentes mines mais de les fondre individuellement pour en contrôler la qualité. En 1774, un nouveau four d’analyse est construit à cet effet (1). La seconde mesure consiste à installer un système performant d’alésage, copié sur la machine horizontale à aléser de John Wilkinson (1774), afin de remplacer celle mise au point en 1771 par John Smeaton, dont le rendement était trop faible. En 1776, Carron produit un « canon léger » (Light Constructed Gun) qui est proposé en deux longueurs : 17 fois et 15 fois le diamètre de l’alésage (calibre), la longueur étant mesurée de la bouche à l’arrière de la plate-bande de culasse (fig. 1.3)(2). Bien que validés par l’Arsenal Royal de Woolwich (Woolwich Warren) le 3 août 1776 aux frais de la Compagnie, les « canons légers » ne firent pas la fortune de Charles Gascoigne. Il lui fallut attendre deux ans de plus pour enfin convaincre le Board of Ordnance avec la mise en service de sa « Gasconade », autrement dit de la Carronade.

    Les canons Carron trouvés sur l’épave sont à n’en point douter des « Light Constructed Guns » mais mesurent 18 calibres (1,80 m). Même avec un calibre de plus que le plan de 1776, il s’agit d’une évolution notable puisqu’à l’époque on trouvait surtout ces canons en 21 calibres (2,13 m). Le Board of Ordnance répertoriait les canons par la longueur de l’âme exprimée non plus en calibres mais en pieds (arrondis au ½ pied) et par le poids du boulet rond. Les canons de l’épave sont de ce fait des canons sur affût de 6 pieds et 9 livres (6 ft 9-pdr carriage-guns). Il faut probablement voir ces canons comme la dernière étape de la diminution de la longueur des canons de marine anglais de 9 livres en fonte de fer, avant la mise en service de la caronade (3)."
[...]

(1) Brian Watters, Where iron runs like water: a new history of the Carron iron works, 1759-1982, John Donald Publishers, Edinburgh, Scotland, 1998, p. 46.
(2) Scottish Record Office, Edinburgh, Carron Company Papers, GD 58/8/87.
(3) Brian Watters, Where iron runs like water, op. cit., p. 47.

Thierry

Illustration de la célèbre lenteur de réaction de la Marine française aux innovations: 16 ans avant d'adopter ces caronades anglaises !

bicdan a écrit:Illustration de la célèbre lenteur de réaction de la Marine française aux innovations: 16 ans avant d'adopter ces caronades anglaises !

Certes, mais il ne faut pas oublier qu'en France, la révolution (industrielle des canons de Marine) a été quelque peu entravée par la... Révolution !

En cherchant à résoudre le problème du numéro de série du canon du Dragon, j'en ai profité pour calculer le poids du canon en kilogrammes.

Sur le tourillon de gauche, sous le numéro de série, figure l'inscription 14-1-10 qui correspond au poids du tube.

14 cwt (quintaux) x 112 lb = 1568 lb
1 qr (quarter) X 28 lb = 28 lb
10 lb (pounds) = 10 lb

Total : 1 606 lb = 728,5 kg.

Thierry

le Spahi a écrit:Ah ! L'affût on n'en parle même pas...

Je pense que c'est un canon retrouvé au Canada (il y a tout un inventaire en ligne, si je me souviens bien).

Thierry

En essayant de trouver la nature des inscriptions de ce canon, je me suis rendu compte qu'il ne faisait pas partie du grand inventaire canadien, mais du patrimoine du château écossais de Rothesay (Rothesay Castle).
Je tente d'obtenir sa description...



Il s'agirait d'un 9-pounders Carron de 1778. Si c'est bien le cas, ce devrait être un "15 Diameters". Le diamètre du tourillon est sensiblement égal au qualibre (4 in /10 cm) que l'on peut reporter une quinzaine de fois entre la bouche et l'arrière de la plate-bande de culasse (muzzle to the base ring).

J'ai envoyé une correspondance au conservateur du musée de Rothesay pour lui demander qui détenait le détail de ce canon. Et j'ai envoyé une demande à la direction du patrimoine écossais. Wait & see...
Et j'ai envoyé une demande à un membre du journal d'archéologie écossaise, et au club de photographes amateurs de Rothesay pour leur demander d'aller prendre une photo des tourillons... Wait & see... again !

Thierry

Bonsoir,

Une première réponse d'un membre du club de photographes amateurs de Rothesay : pour l'instant le canon est dans une zone interdite, entre la douve remplie d'eau et une muraille du château qui menace de s'écrouler ! Mais, la personne en question va essayer de trouver une solution... sympa !

Thierry

Je viens tout juste de recevoir le travail du club de photographes amateurs de Rothesay en Ecosse.

L'un des tourillons (le gauche) est illisible... peut-être un 7 en finale ? On devrait normalement y trouver le numéro du canon et son poids exprimé en cwt, qr et lb.



L'autre (le droit) est assez lisible :





9-pounder gun fabriqué en 1778 chez Carron. Exactement le même marquage que celui du canon du Dragon de L'Espine.

Thierry

Sympa le club photographe
On dirait qu'il y'a une sacrée couche de vernis dessus.

Oui, très sympatique !

Je ne sais pas de quoi a été recouvert ce canon. Tout dépend de l'endroit où il a été trouvé en 1995 à Rothesay Pier : sur terre ou dans la mer...

Mais j'ai également reçu hier une première réponse des services officiels du patrimoine écossais :

"Good afternoon,
Thank you for your enquiry below and I have passed this to colleagues in collections to respond in due course.
Kind regards
Sharon ..."

Business Support Officer | Cultural Assets Directorate
Historic Environment Scotland | Àrainneachd Eachdraidheil Alba
Rm G17, Longmore House, Salisbury Place, Edinburgh, EH9 1SH
www.historicenvironment.scot

Thierry

Mon "dossier" a bien été passé à la personne responsable des collections de cette zone d'Ecosse. Elle m'a contacté pour me dire qu'elle avait bien pris en compte la "mission", mais qu'elle partait hier soir en vacances (annual leave) avec un retour aux affaires le 9 janvier 2023...

Thierry