Le Sagittaire, canonnière de station 1872 par Bruno Orsel

Bruno, je te souhaite du plaisir à pratiquer cet affinage, ça ne va pas être de la tarte !

Bonjour Bruno !

Un très beau travail, mais qui en aurait douté ... Vraiment : "J'AIME" !!!!

Patrick

superbe !!!
alain p

Francis Jonet a écrit:Bruno, je te souhaite du plaisir à pratiquer cet affinage, ça ne va pas être de la tarte !

Quand on a vu la Louise il n'y a pas de doute à avoir sur le résultat.

Pierre

Francis Jonet a écrit:Bruno, je te souhaite du plaisir à pratiquer cet affinage, ça ne va pas être de la tarte !

Je suis conscient de la difficulté que je risque de rencontrer pour l’exécution tout en finesse de cette partie du navire. Je vais y attacher beaucoup d’attention car je souhaite la réussir.

En effet, le mariage du bronze pour l’étambot arrière, le gouvernail, les armatures latérales, la sortie de l’arbre d’hélice et l’hélice, en opposition avec le doublage en cuivre rouge pour les œuvres vives, l’ébène pour le côté bordé et la teinte chaude du poirier pour la partie apparente de la charpente sera d’un très bel effet qui ne souffrira pas la moindre négligence dans la qualité de l’exécution.

Comme j’ai souvent eu l’occasion de le souligner, la construction de la canonnière Sagittaire que je présente ici est une opportunité pour porter un regard sur l’évolution des techniques de construction entre le 18e siècle, parfaitement bien maîtrisées sur ce forum, et ce milieu du 19e dont est issu Sagittaire.
La formation des ingénieurs en construction navale sans cesse améliorée, la connaissance sur la résistance des matériaux plus affinée, l’introduction des métaux qui dans un premier temps s’associent au bois avant de le supplanter totalement, ont conduit après les premières décennies du 19e siècle à la simplification des techniques employées dans divers secteurs de la construction de nos navires.

Pour illustrer ce propos je vais aborder aujourd’hui la méthode d’assemblage des éléments formant la double épaisseur de bois des couples.

Lorsque le couple est terminé dans toutes ses parties, et que l’on aura apporté un soin particulier pour obtenir un contact rigoureux, tant au plan de gabariage qu’aux extrémités des empatures, on procèdera au chevillage des deux rangs des bois au moyen de goujons en fer carré. Les trous sont percés à la tarière d’un diamètre égal au côté de la section transversale du goujon dont la tête est légèrement évasée. L’autre extrémité du goujon est rivée sur une virole carrée.

Cette méthode de chevillage qui a perdurée des siècles durant était sujet à de graves inconvénients. Je cite ci-après, Fréminville, (1821-1888) ingénieur de la Marine et adjoint du directeur de l’École du Génie Maritime.

« En contact avec le bois de chêne, les chevilles en fer sont attaquées par l’acide gallique qu’il renferme, et éprouvent au bout de quelque temps une certaine altération, qui se déclare dès le commencement de la construction, mais qui marche lentement et n’a pas une grande importance, tant que les bois sont maintenus à sec. Lorsque le bâtiment est à flot, les bois sont imprégnés d’eau de mer, et la décomposition des chevilles prend une marche beaucoup plus rapide : elle se traduit finalement par la formation d’une grande quantité d’oxyde de fer provenant, soit de la décomposition directe de la cheville, soit de celle du gallate de fer qui injecte les cellules ligneuses jusqu’à une certaine distance de la cheville elle-même ; cet oxyde de fer désorganise les tissus dans toute la partie qu’il occupe, en sorte que la cheville se trouve entourée d’une espèce d’enveloppe composée de matières désagrégées, mélange d’oxyde de fer et de bois pulvérisé ou pourri, tandis qu’elle-même est réduite à une tige de faible section, très irrégulière d’ailleurs. Lorsque les choses en sont arrivées à ce point, le chevillage ne présente plus aucune tenue, et la charpente est complètement déliée.

Les effets de l’oxydation ne se produisent pas avec une égale intensité sur toute la longueur des chevilles, et ils sont plus prononcés dans le voisinage des faces de contact des pièces dont elles opèrent la jonction. Dans les constructions datant de plusieurs années, il n’est pas rare de voir des chevilles en fer littéralement coupées par l’oxydation, dans la partie qui correspond au placage. Cet effet provient de ce que, malgré tous les soins apportés à l’assemblage des pièces, elles ne joignent jamais bien exactement : l’humidité ou même l’eau à l’état liquide se rassemble et séjourne dans les interstices qu’elles laissent entre elles et y produit une corrosion plus sensible que dans les autres parties.

La décomposition du chevillage en fer dans les bois placés sous l’eau est assez prompte par elle-même, mais elle acquiert ne rapidité effrayante lorsque les chevilles se trouvent en contact avec quelques parties du doublage en cuivre de la carène ; le cuivre et le fer baignés d’eau de mer constituent un élément de pile qui provoque la destruction du fer avec une énergie que l’on aurait peine à se figurer, et susceptible de détruire le chevillage au bout de quelques mois. Aussi ces contacts sont-ils proscrits d’une manière absolue, et, dans toutes les parties où les chevilles doivent nécessairement toucher le doublage, prend-on le parti de les exécuter elles-mêmes en cuivre rouge, ainsi que nous l’avons vu à propos du chevillage de la quille.

On a perfectionné le goujonnage  des couples en y faisant application des tampons cylindriques en bois dur pénétrant de moitié dans chaque plan interposés au passage de chaque cheville (voir § 72). Ces tampons contribuent par eux-mêmes à la solidité des assemblages, et comme ils sont ajustés avec une grande exactitude, ils préservent la cheville de l’humidité des faces de joints, et préviennent dans cette partie, l’oxydation exceptionnelle qui s’y produit habituellement. On doit noter l’introduction des tampons cylindriques comme une importante amélioration apportée à la confection des couples ; ils sont maintenant d’un usage général dans la marine militaire, et les meilleurs chantiers du commerce les ont adoptés. Pour mettre en place les tampons de membrure, on procède comme pour les écarts de quille, c’est-à-dire que les pièces du deuxième plan étant maintenues sur celles du premier par des manelles, on perce les trous de tarières à l’emplacement des chevilles, on désassemble alors les pièces du deuxième plan et on les vire de manière à tourner par en haut leur face de placage ; on perce les trous d’alésoir sur les trous de chevilles qui se trouvent ainsi parfaitement centrés en sorte qu’une fois les deux moitiés des bois réunies, les trous pratiqués correspondent rigoureusement. On met en place les tampons du premier plan, après quoi on rapporte par-dessus, les pièces du deuxième que l’on réunit à force de masse. Pour que celles-ci puissent s’ajuster avec les tampons, il est nécessaire que tous ceux d’une même pièce soient parallèles, ce qui exige que les chevilles le soient également.
Les chevilles en fer rond ont une tenue supérieure à celle des goujons. La conservation des chevilles est d’ailleurs très bien assurée par le zingage ; cette pratique, adoptée aujourd’hui, protège le fer d’une manière remarquable, en l’enveloppant d’une couche métallique très adhérente et peu susceptible d’oxydation.
La longueur des goujons est inférieure de 2 à 3 centimètre à l’échantillon sur le droit des pièces à joindre ; ceux des extrémités des empatures doivent être distants de 25 à 30 cm du bout des pièces.

Le diamètre des tampons est compris entre le quart et le cinquième de l’échantillon sur le tour des pièces dans lesquelles ils sont placés ; leur hauteur est égale à deux fois le diamètre".

Concernant le Sagittaire le devis de construction donne un diamètre de 12 à 18 mm pour les goujons.

Pour illustrer cette description voici quelques documents :

Les manelles qui servent à maintenir fermement les deux plans du couple pour les opérations de perçage.



L’alésoir pour le percement du logement des tampons de bois.



Sur le plan ci-dessous on voit bien le principe d’assemblage tampon/cheville.



Les photos ci-après illustrent parfaitement les explications écrites et de plus sont un témoignage vivant sur le sujet.







Après ces explications, un peu fastidieuses, voici comment cela se traduit en dessin pour le Sagittaire. Pour une meilleure compréhension de l’intégration des tampons et des goujons, j’ai « enlevé » la varangue.











Il est évident que sur le modèle au 1/50 je n’ai pas reproduit ce système d’assemblage des couples qui d’ailleurs ne se verrait pas. J’ai simplement marqué les petits trous laissés par le passage des goujons.

Pour moi le plaisir que j’ai à réaliser un modèle comme le Sagittaire, trouve son accomplissement dans la compréhension de ce que je construis. L’enrichissement constant de nos connaissances dans le domaine de la construction navale est donc essentiel à notre discipline.

Bonjour Bruno,

Merci pour cette démonstration si bien illustrée. Très intéressant... et très belle démarche, bravo !  

Thierry

J'adore les premieres photos ! et la démonstration qui suit

Intarissable Bruno, merci pour ces explications.

Voilà une bonne documentation qui soulève la complexité de la construction navale. L'Hermione me semble t-il a au moins pu bénéficier dans certains assemblages de l’acier inoxydable, ce qui n’agravera pas son cas.
Quand au modèle en construction c’est une petite merveille réalisée toute en finesse avec un montage original.
C’est toujours un vrais plaisir de suivre ce chantier atypique.

Salut à tous !

Tout cela est fort intéressant et très bien documenté. Merci de nous faire partager tes recherches Bruno !

Hâte de lire la suite ...

Patrick

Bonsoir,
Ce bruno est épatant !

Bonjour Bruno,

En relisant ce fil, je me disais que pour une canonnière "de station", elle progressait à grands pas !

Avec toute cette documentation et les étapes de ta construction, envisagerais-tu ultérieurement une publication, chez Ancre, par exemple ? Pour accompagner Louise...

Thierry

le Spahi a écrit:

Avec toute cette documentation et les étapes de ta construction, envisagerais-tu ultérieurement une publication, chez Ancre, par exemple ? Pour accompagner Louise...

Thierry

Bonjour Thierry,

Oui, mon souhait, serait de publier une monographie sur le Sagittaire. Ma question, vais-je y arriver ?  Mes années sont plutôt derrière moi…

Mener de front l’écriture, le dessin et la construction du modèle est une tâche immense. Concernant le dessin, le travail est bien avancé, mais il reste encore beaucoup à faire. Il faudrait pour cela que j’arrête pour un temps la construction du modèle pour me consacrer totalement au dessin.

Pour l’étude historique je pense tout avoir ou presque. Comme je l’ai expliqué au début de cette publication, 13 canonnières ont été construites d’après les études et les plans de l’ingénieur Bertin. J’ai étudié les dossiers individuels de chacune d’elles ce qui m’a permis de comprendre ce qui les différencie, la raison de l’évolution de leurs étraves, les avancées technologiques, de l’artillerie dont elles ont bénéficiées.

A cela s’ajoute des études complémentaires approfondies sur l’artillerie, les embarcations règlementaires, la mâture, le gréement et bien d’autres sujets liées à cette période.

Ces petits bâtiments ont eu, pour plusieurs d’entre eux, de belles carrières et en particulier en Extrême-Orient avec l’escadre de l’Amiral Courbet. Le Sagittaire a été mis à la disposition de Savorgnan de Brazza pour ses expéditions au Congo.

Je joins ci-après un tableau récapitulatif que j'ai rédigé regroupant les informations générales sur les 13 canonnières de 1re classe.

Bonjour Bruno,

J'ai quand même l'impression que tu as tous les ingrédients nécessaires pour réussir une belle publication ! Dans ton cas, je dirais même que ton problème majeur sera le choix de ce que tu devras retenir pour une publication.

Plus on cherche, plus on trouve et certains qui ne savent pas s'arrêter dans la recherche... ne publient jamais ! J'en connais très bien quelques-uns qui sont des amis de ma génération, éternels doctorants, qui ne soutiendront sans doute jamais, faute d'avoir décidé un jour qu'il leur fallait arrêter la chronophage recherche, et accepter une dose d'ignorance et d'imperfection, pour... éditer.

Mais comme tu as déjà publié dans ton domaine, tu devrais facilement échapper à ce danger !

Bon vent (et bonne pression) pour la suite, on attend ton oeuvre et ta publication avec impatience.

Thierry

Quelques avancées.

Pour les besoins de la progression de la construction, j’ai déposé la moitié des contre-couples du chantier du Sagittaire. Une vision bien sympathique sur la légèreté de la charpente où le travail de l’équerrage sur l'extérieur des couples et des garnis des fonds n'est pas encore fait.

C’est extraordinaire de légèreté, tout en finesse . Quel travail! Pour maintenir l’ensemble dans ses formes.

Super travail! Squelette très élégant...  
Jacques

Bonjour,
Les couples dévoyés datent de quelle époque?
Merci

breton 29 a écrit:Bonjour,
Les couples dévoyés datent de quelle époque?
Merci

Je n’ai pas d’idée bien précise, mais je dirais un peu avant 1850 avec l’apparition des poupes arrondies résultante de l’hélice, le double étambot et l’avant des navires qui, plus on va avancer dans le siècle, s’affine considérablement.
Sur les 60 couples du Sagittaire, 26 sont dévoyés soit presque le 1/3.

Les arrières arrondis  garantissaient une meilleure solidité à la charpente. Les couples dévoyés étaient aussi moins consommateur de bois, leur équerrage étant très faible comparé aux couples droits.
Les poupes arrondies offraient aussi à l’artillerie de meilleurs angles de tir qui permettaient le feu croisé avec les canons de la batterie supprimant ainsi l’angle mort des arrières carrés qui laissait la possibilité à l’assaillant d’atteindre sans être atteint.

Je montre ci-dessous 2 extraits de plans d’une frégate à hélice de 800 CV. On voit bien la configuration des couples dévoyés de l’avant et de l’arrière. Les plans datent de 1853. Les couples de l’avant sont dévoyés mais pas autant qu’ils le seront quelques années plus tard.

breton 29 a écrit:Bonjour,
Les couples dévoyés datent de quelle époque?
Merci

En France, je dirais, entre 1730 et 1750 puisque B. Ollivier ne les cite pas alors que Morineau en donne le tracé.

Merci à tous les deux.

Toujours aussi bien soigné et toujours très agréable à suivre ton travail Bruno !

Merci.

Patrick

Pose des préceintes.
Elles sont en teak. Le devis de construction donne les informations suivantes : 6 virures de préceintes de chaque côté ayant une épaisseur de 80 mm se réduisant à 60 mm aux extrémités. Elles sont suivies de 2 autres de 60 mm se réduisant à 45.
Pour le moment je n’en ai posé que 4.
Pour le modèle j’ai réalisé les préceintes en ébène, comme le sera l’ensemble du bordage, jusqu’au doublage en cuivre. Au-dessous de cette ligne, je continuerai avec du poirier.

Que c'est beau ! Bravo Bruno !

Travail exemplaire !
J'ai vu que vous utilisez Rhino aussi, j'espère faire aussi bien